
Drogue
et Cannabis en Hongrie |
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Libération - Le
mardi 13 avril 1999
Contre
la drogue, la Hongrie choisit le tout-répressif Critiquée par les
experts, la loi assimile les utilisateurs à des criminels. Par CLAUDE
KOVAC Budapest de notre correspondante Avec sa casquette et son ton
gouailleur, Ildi, lycéenne de 19 ans, a un petit air de Gavroche.
Un Gavroche qui manipulerait, non pas de la poudre à fusil mais de
l'héroïne. Toxicomane, Il deale de petites quantités pour se payer
sa dose, comme beaucoup de petits usagers, car l'héroïne coûte cher
pour une bourse hongroise. "Le gramme vaut environ 7 000 forints (1
F= 37 forints environ), mais ça, c'est un prix d'ami. ça peut varier
du simple au double selon la qualité de la came", indique-t-elle.
Sous
le socialisme, le mélange de médicaments et d'alcool ou de pavot était
courant. Mais, depuis la chute du rideau de fer, il est aussi facile
de se procurer des produits synthétiques ou de l'héroïne que dans
n'importe quel pays européen. Péter reconnaît "fumer régulièrement
un petit joint" avec ses camarades de lycée à Budapest et avoir goûté
aux amphétamines et comprimés d'ecstasy qui circulent dans les soirées
disco le week-end, parfois inclus dans le billet d'entrée .A l'avenir,
Péter ou Ildi risquent deux ans de prison. La Hongrie a, en effet,
adopté, à la fin de 1998, l'une des législations les plus répressives
en Europe en matière de drogue. Le nouveau code pénal frappe fort
en introduisant la prison à vie pour les gros dealers et une peine
ferme de deux ans pour les petits fumeurs. "A ce compte-là, la moitié
de maclasse serait sous les verrous; les prisons vont être surpeuplées!",ironise
Péter.
Pays
de transit. Cette politique illustre le désir des autorités de donner
un clair avertissement au crime organisé. Depuis la guerre en ex-Yougoslavie,
la Hongrie est devenue l'un des itinéraires privilégiés des trafiquants.
"Pays de transit sur la route qui va de l'Afghanistan à l'Europe de
l'Ouest, nous devons lutter contre les trafiquants. Notre but est
d'enrayer la croissance du marché de la drogue, car, selon nos informations,
30 % des jeunes sont des consommateurs", affirme Péter Wootsch, secrétaire
d'Etat auprès du Premier ministre. Toutefois, aucune étude ni statistique
fiables ne permet d'étayer ces chiffres et les experts en sont réduits
à estimer le nombre des drogués à au moins 300 000, sans compter les
consommateurs occasionnels. Il n'empêche que le gouvernement de droite,
qui a martelé le thème sécuritaire avant de remporter les législatives,
en 1998, a clairement opté pour une politique pénale plutôt que pour
une politique de santé. "Celui qui se drogue pactise avec le diable",
a déclaré solennellement le Premier ministre, Viktor Orban.
Bon
nombre d'associations et d'intervenants en toxicomanie critiquent
une législation bâclée qui va à l'encontre d'un rapport d'experts
indépendants, présenté au Parlement en 1998. "Je ne suis pas pour
la libéralisation des drogues, mais cet arsenal juridique est en dessous
de tout car il assimile les malades à des criminels", s'insurge le
docteur Mlinarics, fondatrice de Matrix, une association de parents
de toxicomanes. Programme de réhabilitation. Jusqu'alors les drogués
arrêtés pouvaient être orientés vers des structures de soins. Désormais,
seuls les grands toxicomanes avérés échapperont à la prison. "On ne
rompt pas forcément avec la dope derrière les barreaux, surtout si
l'on y côtoie des criminels",juge Tamas, un ancien toxicomane de 25
ans qui s'est défoncé pendant huit ans à l'opium - en fait, un mélange
de pavot séché, dont la culture est traditionnelle en Hongrie, de
thé et de somnifères -, avant de tâter de l'héroïne. Il s'en est finalement
sorti grâce à un programme de réhabilitation et a repris ses études
dans une école accueillant les toxicomanes. "Il est clair que, si
l'on m'avait arrêté, je ne serais pasdans cette école aujourd'hui",
conclut Tamas pour qui l'unique objectif du gouvernement est de "s'assurer
du soutien des électeurs conservateurs".
Certaines
associations sont également visées: les intervenants d'un programme
d'échange de seringues deviennent, de fait, complices d'un acte criminel
et la police peut exiger leur témoignage. A Szeged, dans le sud du
pays, le docteur Judit Honti coordonne une équipe de sept travailleurs
sociaux qui fournissent des seringues neuves à quelque 300 toxicomanes.
Equipés en permanence d'un beeper, les intervenants se déplacent à
la demande. "Notre programme, soutenu par la ville, a pignon sur rue.
Mais le risque est que nos clients cessent de nous contacter par crainte
de la justice et là, nous serions forcés d'arrêter", explique Judit
Honti. Pour justifier sa politique, Budapest invoque la similitude
des lois allemandes. "Faux, rétorque Cornelius Nestler, professeur
à l'université de Cologne. Au début des années 90, l'Allemagne a renoncé
à la répression et la consommation de cannabis est pratiquement dépénalisée
depuis 1994. Une politique qui a porté ses fruits: ainsi à Francfort,
le nombre de décès dus à la drogue a considérablement baissé. La Hongrie
est en train de répéter nos erreurs passées: pendant vingt ans, nous
avons envoyé des milliers de petits utilisateurs en prison avant de
comprendre que c'était totalement inutile."Prévention.
Reste
à savoir comment le juge appliquera le nouveau code et s'il s'écartera
d'une stricte interprétation des textes, comme le font certains procureurs
français qui refusent de poursuivre les petits consommateurs pour
se concentrer sur les grands dealers. Le ministère de l'Education
a, lui, choisi la douceur avec une campagne axée sur la prévention.
Sur les affiches, de très belles photos d'un couple ou d'un enfant
portent le slogan: "La drogue peut détruire vos relations".